lundi 1 juin 2020

[Conseils Non Sollicités] Conseil 4 : Apprendre a avoir une démarche plus scientifique.

Conseil 4 : Apprendre a avoir une démarche plus scientifique.

Déjà, pour entamer ce conseil, on va définir parce que j'entend en parlant de démarche scientifique ; pour moi, dont le travail est intrinsèquement lié à cette méthodologie, c'est évident. Mais j'ai bien conscience que c'est loin d’être le cas pour d'autres et je dirais même que beaucoup pensent, sciemment ou non, qu'ils ont une démarche comparable alors que fondamentalement, ils ne l'ont pas. La démarche scientifique, bien sur, c'est dans l'idée fonctionner comme un scientifique et la croyance répandue c'est qu'un scientifique fais des recherches, et prouve qu'il sait, qu'il a trouvé une représentation du réel adéquate, etc... Donc, concrètement, qu'il valide ses théories par un travail acharné, souvent très long, à force d'observations, d’expériences.

Cette représentation est simplement totalement et complètement fausse. 

Enfin, dans la majorité des cas des métiers relevant de la méthodologie scientifique : coucou la médecine, toi qui fait bande à part (pour des raisons logiques visant à trouver des remèdes, ils tentent plus de prouver qu'ils ont raisons plutôt que tort)s. Le métier d'accro à la recherche, c'est probablement le métier le plus frustrant du monde, le moins gratifiant et cela pour une raison simple : son fonctionnement. Etre scientifique, c'est, début à la fin de notre carrière mais aussi de celles de vos collègues, tenter de prouver que vous avez tort, que vos camarades ont torts. Toute votre vie. C'est assez contre intuitif, je le sais, de se dire que ceux qui augmentent nos connaissances en tant qu’espèce sont en fait en train de passer tout leur temps à démonter ce qu'ils trouvent, ce que leurs collègues trouvent, ceux que leurs prédécesseurs ont trouvés. 


Une métaphore adéquate serait celle d'un enfant, armé d'un marteau, qui a des piques, recouverts d'acides en plus, auquel vous donnez un jouet en lui demandant de le détruire. Voila, je viens de casser mon amour propre quant à ma profession et celle de mes camarades, mais c'est pourtant une image relativement adéquate. Bien entendu, le travail scientifique ne s’arrête pas là : après avoir tenté de casser le jouet, il y a deux possibilités. Premier cas : le jouet est cassé. C'est simple, la théorie n'est pas validée, c'est donc une mauvaise représentation du réel, on passe à un autre jouet. Second cas, le jouet n'est pas cassé. Alors, à ce moment là, à défaut, on accepte que cette théorie, pour le moment, reflète au mieux le réel. Mais on continue de taper sur le jouet. Encore et encore et encore. Et en fait, on va continuer à tenter de prouver qu'on a tort jusqu’à la fin de notre vie. Même, masochiste que nous sommes, on prête notre jouet à un autre enfant, armé de son propre marteau, à qui ont demande aussi de taper sur le jouet de toutes ses forces. 

Maintenant que nous avons mit au clair ce que j'entendais par démarche scientifique, passons au conseil. Apprenons a avoir une démarche comparable, dans notre vie de tous les jours, c'est à l'instar de ma profession, toujours creuser plus loin nos propres théories comme celles des autres. Car après tout, nos visions politiques, nos convictions sur la morale ou plus simplement toutes nos valeurs sont fondamentalement une représentation de notre réel, de ce que l'on estime être le réel, ou qu'on aimerait voir être réel. Ce sont, à leurs manières, des théories sur ce qui est idéal, important, etc... Et bien souvent, un certain nombre de personne ne se rend pas compte du caractère non universel de ces valeurs, ce qui est logique puisque c'est le prisme par lequel elles voient le monde. Prenons le cas d'un mot, au choix, le bleu : si pour vous, le bleu est la couleur bleu, mais que vous rencontrez une personne dont le bleu est en fait la couleur rouge, vous aurez du mal à vous comprendre, à vous mettre à sa place parce que pour vous, la couleur bleu est bleu, voyons ! C'est d'ailleurs pour pouvoir faire cet exercice qu'il est aussi important de comprendre autrui, je rappel mon conseil précédant, celui d’être moins susceptible : prenons le temps de réellement comprendre ce qu'on nous dis, le message réel émis avec ses références et non pas ce que nous nous entendons. 


Appliquer une méthode scientifique dans nos interactions de tous les jours a un intérêt profond : celui de nous permettre de mieux nous défendre d'une part mais aussi de mieux nous comprendre nous même et nos valeurs. En réalisant ce travail de sape sur nos propres réflexions, mais aussi sur celles des autres, on en comprend mieux les tenants et les aboutissants. Cela nous permet par exemple, en entreprise comme dans la vie de tous les jours, de mieux faire valoir nos points de vue, de rallier les autres à notre vision. Il y a un dicton qui est qu'on s’élève dans l'adversité ; en se poussant seuls dans nos retranchements, on peut réaliser un manifeste de nos idées, de nos valeurs. 

Pour prendre un cas concret, je vais illustrer avec une expérience de mon début de carrière : j’étais au sein d'une structure de grande distribution chargé d'analyser cette dernière, de recommander des améliorations éventuelles sur la structure et d'isoler le prochain chef d'un service parmi les membres actuels de l’équipe ou proposer un recrutement si personne ne convenait. Sur de moi, après tout, j’étais l'expert dans ce domaine au sein de l'entreprise, je fais mes recommandations après avoir analysé le terrain et reçu en entretien tous les employés, pendant plusieurs semaines ; j'isole des facteurs freinant l'activité et la performance de l’équipe et propose en conséquence des améliorations. Et je donne ce rapport au directeur, me doutant que tout ne serait pas accepté, mais me disant qu'au moins une partie le sera. Je reçois un appel de ce dernier, qui me dit directement, et pendant plus de 1h30, que concrètement, je suis un jeune crétin, que je n'ai rien compris à rien et surtout que rien ne sera mis en place. 

Vous vous doutez bien que je suis rester assez interdit devant ce déballage, ne sachant comment réagir. Quelques tentatives pour expliquer en quoi mon analyse tenait, se tenait et pourquoi il fallait absolument tenter de mettre quelque chose en place n'ont été que maladroites et aussitôt repoussées. Pourquoi ? Simplement parce que même avec les meilleures raisons, justes (en tout cas, même avec le recul, mes propositions et recommandations me semblent toujours justifiées et adaptées), je n'ai pas prit le temps de me mettre dans la position d'attaque de ce raisonnement. Je n'ai pas préparé réellement mon bilan à une confrontation : je suis parti du principe qu'en tant qu'expert, mon travail serait perçu pour ce qu'il était et non pas qu'il serait réfuté. Aussi, je n'avais pas d'argumentaire prêt pour contrer une quelconque attaque dessus. Présomptueux à souhait. 



Cette leçon, je ne suis pas prêt de l'oublier. C’était une de mes premiers missions en tant que psychologue du travail : autant vous dire que l’expérience est restée indélébile. De plus, les conséquences de mon échec, car s'en est un, à n'en pas douter, sont là : durant l'année qui a suivie, plusieurs collaborateurs ont quittés la structure. Plus d'un an après, seulement 1/3 des employés étaient encore les mêmes que ceux que j'avais rencontrés ; les personnes ayant précédemment travaillés dans la structure qu'il m'arrive de rencontrer me disent tous leurs frustrations des derniers mois passés au sein de la structure, de l’état du management, de problèmes que j'avais signalé. Bien sur, je ne suis pas le responsable direct de non changement de la politique délétère ayant court dans la structure ; pour autant, la question me taraude toujours : si j'avais anticipé, si j'avais appliqué la méthodologie scientifique sur ma transmission de donnée, j'aurais potentiellement anticipé certaines des remarques, certains des obstacles. D'ailleurs, aujourd'hui, je vois parfaitement sur quels axes j'aurais eut à insister, à mettre en avant pour que l'information soit reçue et acceptée.

Mon conseil est donc de ne pas produire cette même erreur : anticipez, en ayant une démarche scientifique, aussi bien dans votre vie professionnelle que dans votre vie personnelle. Mettez vous même en difficulté vos raisonnements, cherchez leurs failles, tapez dessus sans relâches ! Il n'y a qu'ainsi que vous pourrez pleinement développer votre raisonnement, trouver ce qui le justifie réellement, les valeurs centrales le soutenant. Il n'y a qu'ainsi que vous comprendrez réellement le fond de vos propres pensées, de votre positionnement politique, éthique, humain. Apprenons a avoir une démarche plus scientifique, à douter, à remettre en question pour bâtir plus solidement nos croyances, nos réflexions, nos conclusions !